L’islamologue Mohamed Arkoud est mort
Le Monde, September 15, 2010
Le professeur Mohamed Arkoun, grand islamologue, est mort mardi 14 septembre à Paris à l’âge de 82 ans, a annoncé le “curé des Minguettes” Christian Delorme, qui était un de ses proches. Il était professeur émérite d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne et un des initiateurs du dialogue interreligieux.
Mohammed Arkoun était né en 1928 à Taourit-Mimoun, petit village de Kabylie, dans un milieu très modeste. Après avoir fréquenté l’école primaire de son village, il avait fait ses études secondaires chez les Pères blancs à Oran, puis avait étudié la littérature arabe, le droit, la philosophie et la géographie à l’Université d’Alger. Grâce à l’intervention du professeur Louis Massignon, rappelle Christian Delorme, il a pu préparer l’agrégation en langue et littérature arabes à la Sorbonne. Il a enseigné ensuite dans plusieurs universités puis en 1980, il a été nommé professeur à la Sorbonne-Nouvelle – Paris III, y enseignant l’histoire de la pensée islamique. Là , il a développé une discipline : l’islamologie appliquée.
Depuis 1993, il était professeur émérite de la Sorbonne. Il continuait d’intervenir par des conférences dans diverses universités à travers le monde. Mohammed Arkoun était convaincu que l’événement historique de “la parole coranique devenue texte” n’avait pas bénéficié de l’intérêt scientifique qu’il méritait, et que d’immenses chantiers restaient à ouvrir. Pour lui, les “trois définitions de la révélation” : la définition juive, la définition chrétienne et la définition musulmane ne pouvaient pas être dissociées, et leur étude apportait à chacune des éclairages salutaires.
En 2008, il avait dirigé la réalisation de l’Histoire de l’islam et des musulmans en France du Moyen Age à nos jours (éd. Albin Michel), un ouvrage encyclopédique auquel avaient participé de nombreux historiens et chercheurs, qui racontait et expliquait une histoire commune et millénaire. “Le fil directeur, avait-il alors dit, n’est pas seulement de rappeler des faits ou des personnages mais de raconter l’histoire d’un regard, une histoire psychologique et culturelle des relations entre la France et l’Islam.” L’objectif est de former “la conscience civique, avec un regard historique critique des deux côtés sur tout ce qui s’est passé”, pour aider à ce que le musulman ne soit plus un autre mais un citoyen à part entière.
Le président du CFCM (Conseil français du culte musulman), Mohammed Moussaoui, a rendu hommage dans un communiqué à “ce grand penseur musulman et véritable passeur entre les cultures, qui a toujours plaidé pour une pratique intellectuelle libre où le ‘droit de la pensée’ doit être respecté”. Pour le maire de Paris, Bertrand Delanoë, “c’est un grand savant et un esprit libre qui nous quitte”. “Depuis son enfance en Kabylie, il aura toujours défendu, expliqué et incarné l’islam des Lumières, contre toutes les intolérances et au-delà de toutes les incompréhensions”, ajoute Bertrand Delanoë dans un communiqué. Le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, rend également hommage à Mohammed Arkoun, rappelant dans un communiqué que “son engagement culturel français, ses racines algériennes, sa berbérité, l’aura qui a entouré sa vie et son Å“uvre, ses qualités d’enseignant de haut niveau (…) ont fait de lui un fondateur incontesté de la nouvelle pensée religieuse musulmane de France”.